mardi 4 novembre 2008

HARNES : Le Monument aux Morts. Mémoire de Pierre


Beaucoup de Monuments aux Morts comportent des sculptures qui montrent un soldat, le «poilu» en posture héroïque, qui se bat ou qui est mort.
D'autres, comme celui de Harnes, montrent des civils, une femme ou un enfant, en pleurs, pour marquer le deuil de la communauté vis à vis de ses fils disparus, la femme pouvant être l'allégorie de la Paix, la France, la Commune...
Certains monument sont carrément pacifistes.
Celui de Gentioux, dans la Creuse, montre un enfant avec son tablier d’écolier. Mais l’enfant tend son poing à la guerre. Et sur le monument est écrit: «Que maudite soit la guerre».
A Equeurdreville, dans la Manche, on retrouve cette même inscription, mais le monument représente une mère, ses enfants serrés contre elle. Tous sont en pleurs. Quelques monuments seulement de ce type sur les 36.000 que notre pays compte, c’est peu. Saisissant également est le monument aux morts de Péronne où une femme allongée aux côtés de son fils ou de son mari mort, tend un poing rageur en direction de la guerre. Au Mort-Homme, l’un des hauts lieux de la bataille de Verdun, où des milliers d’hommes sont morts, le squelette d’un poilu sort de sa tombe. Tout un symbole!
A Harnes, après l’armistice, au retour des corps des soldats morts pour la France, le conseil municipal de notre ville sur la proposition de son maire, M. Choquet, accorda gratuitement des concessions aux familles pauvres et chargea l’association des mutilés et anciens combattants de l’entretien des terrains au cimetière. Cette association puissante ne voulut pas en rester là et pour honorer ses 237 compagnons glorieusement tombés pour la patrie, leur firent ériger le mausolée qui a été inauguré le 11 Novembre 1925 et qui est toujours visible au cimetière.
Oeuvre de Rogerol, Prix de Rome, le bas-relief qui orne la face principale du monument symbolise l’émouvante douleur d’une femme, mère ou épouse devant l’éternel souvenir d’un être cher à jamais disparu. Reconnaissant hommage à la mémoire des Harnésiens tombés pour le salut de la grande patrie et la défense de nos foyers menacés, ce monument écarte tout symbole de guerre et cherche plus simplement à fixer par le bronze et la pierre l’histoire douloureuse de nos morts et de dresser à la face du monde l’image de leur souffrance, de leur courage et de leur dévouement



Voici comment le journal le Journal de Lens rapporte l’inauguration du monument aux morts de Harnes dans son édition du 15 novembre 1925:


La commune de Harnes qui compte aujourd’hui 15000 habitants et qui a tant souffert pendant la guerre, a procédé dimanche à l’inauguration d’un monument élevé à la mémoire de ses 237 enfants tombés sur le champ de bataille. Cette grande cérémonie était placée sous la présidence d’honneur de M. Fontenailles, président de la fédération du Pas-de-Calais. Nous avons donné la photographie du mausolée érigé au cimetière sur un terrain concédé à perpétuité par la municipalité, dû au talent de M. Rogerol, prix de Rome, et exécuté par M. Goniaux.
Dimanche, la ville de Harnes avait revêtu sa parure des jours de grande fête. Presque toute la population avait arboré l’emblème national. Le temps passable permit à la cérémonie de se dérouler conformément au programme établi.
A 14 heures, il y eut un grand rassemblement des sociétés locales, musiques, sapeurs-pompiers, gymnastique, l’union des anciens combattants, sociétés de secours mutuels, pupilles de la nation, des délégations des sociétés des anciens combattants de communes voisines en face du monument aux morts des combattants des 1870, rue des Hospices.Une foule immense d’habitants se plaça derrière les dites sociétés, puis un défilé eut lieu dans les principales rues de la ville, aujourd’hui presque totalement reconstituées. Vers 15 heures, l’immense cortège (6 à 7000 personnes) arrivait au cimetière. La musique municipale la Jeune France joue une marche funèbre et est suivie des différentes sociétés, du conseil municipal, Choquet, maire, en tête ; de MM. Goniaux, Rogerol, Mac Corkel, Dupont et Virel, adjoints au maire ; MM. Duchesne, Soufflet, Dacheville, Derache, Demarcq, Delattre, Bacquez, Flanquart, du conseil d’administration des anciens combattants de Harnes ; MM. Mastaing, Neuville, des anciens combattants de Lens, etc.La foule et les représentant des différentes sociétés déposent alors de nombreuses gerbes de fleurs au pied du monument
La clique des sapeurs-pompiers sonne Aux Champs et la série des discours commence. C’est d’abord M. Alfred Duchesne, qui prend la parole au nom des anciens combattants et des mutilés d’Harnes. Plein d’émotion, M. Duchesne rappela que, après l’armistice, l’Union des anciens combattants, en plein accord avec la municipalité fit tout ce qu’il était possible de faire pour la rentrée des corps des soldats d’Harnes sur les différents champs de bataille. Il remercie la municipalité d’avoir accordé la concession du terrain à perpétuité, il remercie les architectes, entrepreneurs et généreux donateurs et rappelle le courage et le sacrifice de ceux qui sont morts pour que vive le pays. Ce mausolée, dit-il en terminant, rappellera les vertus et les souffrances de nos chers camarades tombés au champ d’honneur, auxquels il a associé la mémoire des victimes de la guerre 1870-1871.Jurons que jamais nous ne les oublierons. Les drapeaux s’inclinent, puis a lieu une minute de silence, en signe de recueillement et de pensée pour les grands morts. Un chœur de jeunes filles chante ensuite : A ceux qui reposent là-bas.
Choquet prit à son tour la parole et prononça une émouvante allocution. De quelques mots, dit-il, courts comme un adieu, je remercie au nom de la municipalité et de la ville les généreux donateurs qui ont souscrit pour l’érection du monument : l’association des anciens combattants et des mutilés qui, grâce à leurs efforts permirent de réaliser cette belle œuvre du souvenir. Aujourd’hui, grâce aux efforts constant de la France démocratique, on peut mesurer le progrès constaté depuis la signature du traité de Versailles. Il parle de l’œuvre de la Société des Nations et du récent traité de Locarno qui permet d’envisager enfin la fin des guerres. Espérons que le progrès ira aussi vite à faire le bien que, jadis il fit le mal. Puis se tournant vers le monument, il ajouta pour terminer : Héros ! Votre sacrifice n’a pas été inutile car, dès maintenant, on peut espérer qu’au lieu de se nourrir de haine, on s’inspire de la justice comme règle. La voix des morts nous convie au travail, à l’union, au bonheur et à la paix.
Un groupe de jeunes filles et de jeunes hommes chante l’hymne de Victor Hugo
«Aux Morts». M. Fontenailles, président de la fédération départementale des anciens combattants clôture la série des discours. Il remercie la population, rappelle les sacrifices consentis par nos grands morts et demande de ne pas oublier leur doux souvenir. La musique municipale joue ensuite la Marseillaise.



Discours de M. Fontenailles :


«C’est une belle et réconfortante pensée qu’ont eu nos camarades d’Harnes, d’accord avec une municipalité bienveillante et reconnaissante aux combattants, avec une population particulièrement généreuse, en élevant ce monument à la mémoire des compagnons de votre ville que la guerre a enlevé à notre amitié et à notre affection. Certes, les monuments sont très nombreux, qui par des souscriptions publiques ou trop rarement grâce aux dons fait par des français voulant montrer leur gratitude aux soldats qui sauvèrent leur vie et leur fortune, s’élèvent à présent à la gloire de ceux qui moururent à nos côté et dont le souvenir ne doit pas disparaître, si nous voulons que tous les citoyens d’une nation libre, créatrices surtout des nations aussi libres, ici comme ailleurs continuent à vivre dans l’indépendance et la liberté, dans l’honneur et la discipline. Dans l’intention, précisément, non pas de tuer la guerre, mais d’abolir l’esprit de guerre en créant l’esprit de fraternité universelle par la justice individuelle et l’intégrale réparation pour l’individu qui a souffert, comme pour les nations qui ont été aussi des martyres, nos associations se sont créées ; et depuis l’armistice, leur élan pas un instant ne s’est démenti. A leurs appels se sont dressés les hommes de bonne volonté, et de toutes les provinces et de toutes les opinions, qui ont cru que pour faire la paix juste et durable, il fallait d’abord panser les blessures et les deuils et croire à l’amour entre les hommes. Nos luttes ont été rudes, non pas tant contre nos concitoyens qui surtout dans des bourgs comme le votre avaient vécu autant que nous l’effroyable misère de la haine et de l’exil chez soi, mais contre cet esprit qui, devançant les temps et les hommes misérables aurait voulu chez certains aimer l’injuste et l’agresseur pour oublier qui à fait son devoir. Aujourd’hui, ayant repris sa place et la première, dans le concert des nations, ayant dicté l’œuvre de paix pour laquelle seulement nous nous étions battu, la France considère combien fut grande la misère, si combien grands d’abord furent sa gloire et son honneur.Avoir payé de tant de sang le droit de vivre libre et indépendants, hommes qui pouvons à présent aimer tous les hommes, qui avaient eu confiance en la France aux heures des dangers nationaux, et même aux heures de leurs défaites, y a t il plus grande peine et est-il plus grand deuil ? En élevant ce mausolée qui domine les tombes de vos 237 concitoyens tombés pour la patrie et le triomphe du droit universel, vous avez seulement continué la tâche que nos associations s’étaient librement tracée ; maintenir le souvenir au cœur des hommes qui ne veulent pas être ingrats, réparer les injustices engendrées par la guerre terrible et qui fut une véritable révolution pour tous les peuples appeler dans la concorde par l’effort commun, tous les citoyens libres qui aspirent à la justice dans la dignité. C’est pourquoi, m’inclinant devant la douleur des veuves, des vieux parents, des orphelins que nous avons librement pris à charge, je remercie votre municipalité et votre belle association en demandant que pas seulement au sein de notre fédération départementale des combattants de l’union fédérale, l’exemple tracé par vous soit imité afin que disparaissent à jamais les haines qui, jetant les hommes face à face et armés, font reculer les libertés et reculer l’humanité.»



Note de l'auteur :


Quand j'étais gamin le 11 novembre était une journée importante : Nous devions nous habiller en dimanche, il faisait toujours gris ou il pleuvait et nous devions mon frère et moi accompagner notre père pour aller, dés l'ouverture à 10heures, à la Salle du Souvenir. Dans mon cœur, je vois encore Monsieur Soufflet nous y accueillant, solennel et bienveillant, en costume pour l'occasion et non pas revêtu de son habituelle blouse grise d'instituteur et j'entends encore mon père le saluer d'un martial et amical à la fois « Bonjour mon Capitaine» !
Mon père était Pupille de la Nation et son destin comme celui de nombreuses familles avait été bouleversé par la Grande Guerre. Son respect envers l'héroïque courage des Poilus était immense et il a su le communiquer à ses enfants. Je garde intact, le souvenir de ses récits, de ses anecdotes et mes pensées vont vers lui chaque fois que je m'arrête quelques minutes devant ce Monument aux Morts.
Il était là lors de son inauguration, ce 11 Novembre 1925 ; je ferme les yeux , je le vois au premier rang parmi d'autres orphelins de son âge et j'entends éclater les sanglots trop longtemps contenus, tandis que sonne le clairon !
Que maudite soit la guerre !
Aujourd'hui, je sais que les civilisations sont fragiles et mortelles et pour moi la guerre de 14-18 reste toujours une énigme :
Pourquoi l'Europe avait -elle choisi de se suicider ?

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